L'origine et l'histoire du denier :

Dès le milieux du 3e siècle avant Jésus-Christ, des pièces en argent inspirées de la drachme grecque circulent sur le territoire romain mais elles restent rares.
En voici quelques exemplaires :


269 avant Jésus-Christ
235 avant Jésus-Christ
230 avant Jésus-Christ
225 avant Jésus-Christ

Par la suite, le " denarius " ou denier d'argent est créé en 212 avant Jésus-Christ pour financer la deuxième guerre punique qui opposa Rome à Carthage entre 218 & 201 avant Jésus-Christ. A l'issue de ce combat entre les deux principales puissances méditerranéennes de l'époque, la victoire finale est remportée par Scipion l'Africain contre Hannibal Barca à la bataille de Zama lors de la troisième guerre punique (146 avant Jésus-Christ).

Dans le nouveau système monétaire bimétallique mis en place, le " denarius " en argent qui titre à 950‰ côtoie désormais le monnayage en bronze plus classique.

A cette époque, l'émission des monnaies était placée sous la responsabilité d'une commission de trois magistrats monétaires (les " tresviri monetales " du corps du " vigintisevirat ") qui étaient placés sous la responsabilité directe du questeur monétaire qui pouvait parfois frapper en son nom propre. Cette charge constitue le premier des postes dans le cursus de l'administration romaine qui, au terme d'une longue série d'évolutions, permet d'accéder au consulat. Ces fonctionnaires qui changent tous les ans ont très vite utilisé la monnaie comme moyen de promotion en y apposant leur nom.

Outre la présentation classique des deniers selon un ordre chronologique, il est courant de présenter les deniers de la République romaine classés selon le nom de famille des magistrats monétaires (la République était gérée par un nombre restreint de familles aristocratiques qui se partageaient le pouvoir et dont les membres occupaient les différentes fonctions de la magistrature et de l'administration...). Sous l'Empire, seules les monnaies de bronze échapperont au contrôle de l'Empereur mais plus aucune monnaie ne fera référence aux magistrats monétaires.

Cette monnaie était fabriquée à partir de rondelles d'argent (" flans monétaires ") qui étaient coincées entre une enclume et un coin mobile (" trousseau "). Deux empreintes gravées (" matrices ") étaient apposées sur l'enclume et sur le coin. La frappe par un marteau permettait alors de marquer simultanément l'avers et le revers de la monnaie. Ce système artisanal nécessitait un remplacement fréquent des matrices usées (chaque empreinte permettait d'effectuer entre 5.000 et 10.000 frappes) et explique qu'un même denier présente de nombreuses variantes.



Ce principe de fabrication a été représenté sur un denier émis en 46 avant Jésus-Christ. Cette année là, les triumvirs monétaires responsables de l'émission des monnaies étaient Manius Cordus Rufus, Caius Considius Pætus et Titus Carisius. C'est ce dernier qui est à l'origine de l'émission du denier présenté ci-dessous.


Ce denier est assez rare et très important d'un point de vue numismatique. Il figure au revers le coin mobile décoré et l'enclume entourés de pinces et d’un marteau à droite.

Parfois, il arrive qu'un denier ne soit pas retiré après la frappe et donc que deux flancs monétaires superposés soient frappés ensembles : il en résulte une monnaie un peu particulière appelée "incuse" qui présente un côté en relief (en général le droit) et un côté identique mais en creux. Le premier résulte de la marque du coin mobile et la seconde du motif présent sur le denier resté sur l'enclume.

Au fur et à mesure de l'expansion territoriale de Rome, les ateliers monétaires se multiplièrent à travers tout le territoire. Cependant, à l'origine, la monnaie était uniquement frappée dans un atelier qui se situait à proximité du temple de " Junon Moneta " établi près du Capitole.

Cette coutume illustre à elle seule l'influence de l'antiquité romaine sur notre civilisation. En effet, si " Moneta " qui signifie " la donneuse d'avis " en latin était le surnom donné à la déesse Junon (l'épouse de Jupiter), du point de vue étymologique, ce nom est tout simplement à l'origine de notre " monnaie"...


Pour ce qui est des caractéristiques techniques, le denier d'argent a très peu connu de variations durant cette période tant du point de vue de son poids (à sa création vers 212 avant Jésus Christ le denier pèse 4,51 grammes puis, vers 140 avant Jésus Christ, il est dévalué et son poids passe à 3,96 grammes) que de son titre d'argent (950°/oo). En effet, sa valeur repose exclusivement sur son poids de métal précieux. Cependant, cette série monétaire est extrêmement riche puisque chaque année de nouvelles monnaies étaient émises au moment du remplacement des magitrats monétaires :

- Les plus anciens deniers sont relativement semblables et présentent le plus souvent Rome sous les traits d'une déesse casquée et au revers une divinité dans un attelage au galop ou bien les Dioscures à cheval (Castor et Pollux). La plus part du temps ces monnaies sont frappées anonymement et portent la marque "X" reflet de leur valeur (1 denier vaut 10 as),

- Peu à peu les magistrats monétaires responsables des émissions utilisent la monnaie comme moyen de propagande et d'accroître leur notoriété (le nom du magistrat figure systématiquement sur les deniers). A l'avers des monnaies, Rome cède la place à diverses divinités et les revers deviennent de plus en plus variés...

- Au début du premier siècle avant Jésus Christ l'usage des deniers serratus se répand (Il s'agit de monnaies frappées sur des flans dentelés afin d'éviter le fourrage des deniers qui consistait à recouvrir d'argent un flan monétaire constitué d'un métal de plus faible valeur tel que le bronze),

- Avec l'avènement de l'empire et la chute de la République (Guerres sociales puis Guerres civiles) la composante politique des sujets traités se renforce. Les monnaies s'illustrent de scènes commémorant des victoires militaires et servent à rappeler les illustres ancêtres dont les hommes politiques du moment revendiquent la filiation (personnages de l'antique période royale tels que Romulus...).

L'ascension de Jules César et la prise du pouvoir par Octave/Auguste marquent la fin de la République et, de ce point de vue, la frappe des deniers illustre parfaitement cette personnification du pouvoir. En effet, c'est avec Jules César que les deniers s'ornent pour la première fois du portrait d'un homme vivant.

Dès lors les portraits des empereurs romains ou des membres de leur famille figureront systématiquement sur les deniers d'argent.
Pour une illustration en image de cette évolution, voir le médailler de monnaies romaines...


Le système monétaire romain du début du deuxième siècle avant Jésus-Christ comprend dès lors des monnaies de bronze et d'argent ainsi qu'un grand nombre de subdivisions :

  • L'as qui pèse environ 55 grammes de bronze (1/6 de livre romaine) et pour lequel le symbole " I " est repris pour figurer l'unité monétaire et de poids.
    Dans la vie quotidienne, le prix des biens était couramment exprimé en as (Par exemple, un as permettait d'acheter de 2 à 3 kilogrammes de blé alors que la solde quotidienne du fantassin romain était d'eviron 5 as...).


  • Le semi de bronze symbolisé par la lettre " S " (S [emi]) qui vaut la moitié d'un as soit 27,5 grammes de bronze.
  • Le triens de bronze qui vaut 1/3 d'as et pèse environ 18,3 grammes de bronze.
  • Le quadran de bronze qui vaut 1/4 d'as et pèse environ 13,8 grammes de bronze.
  • Le sextan de bronze qui vaut 1/6 d'as et pèse environ 9,2 grammes de bronze.
  • L'once de bronze qui vaut 1/12 d'as et pèse environ 4,6 grammes de bronze.
  • Le sesterius d'argent ou sesterce qui pèse environ 1,12 grammes d'argent et valait 2,5 as soit environ 138 grammes de bronze. Il s'agit de l'unité de compte couramment utilisée dans la vie quotidienne et pour laquelle le symbole " HS " est repris sur les monnaies (I I + S [emi]).
  • Le quinquarius d'argent ou quinaire qui pèse environ 2,26 grammes d'argent et valait 5 as soit environ 275 grammes de bronze et sur lequel le symbole " V " rappelait sa valeur,
  • Le denarius ou denier qui pèse environ 4,51 grammes d'argent et valait 10 as (le symbole " X " est inscrit sur les deniers) soit environ de 550 grammes de bronze,
Enfin, au cours du premier siècle avant Jésus Christ, le système monétaire romain est complété par une monnaie en or.
  • L'aureus fait son apparition, il pèse 8,12 grammes d'or et vaut 25 deniers d'argent.
Ce système est relativement complexe et en particulier du point de vue des monnaies en bronze (ce domaine reste réservé aux numismates avertis) mais le tableau ci-dessous synthétise les équivalences entre les principales monnaies :

Aureus
xxxxxxxx
Denier
(symbole X)
Quinaire
(symbole V)
Sesters
(symbole IIS)
As
(symbole I)
Aureus
1
25
50
100
250
Denier
(symbole X)
1/25
1
2
4
10
Quinaire
(symbole V)
1/50
1/2
1
2
5
Sesterce
(symbole IIS)
1/100
1/4
1/2
1
2,5
As
(symbole I)
1/250
1/10
1/5
2/5
1


Au cours des siècles, la valeur du monnayage romain en bronze décline progressivement. Cette dévaluation se traduira par une diminution continue du poids de l'as qui passera de 325 grammes de bronze vers 300 avant Jésus-Christ (l'as est dit " libral " car il pèse alors une livre romaine) à 163 grammes vers 220 avant Jésus-Christ (l'as est dit " semi-libral " car il pèse 1/2 livre romaine). Après la chute de la République, sous Auguste, l'as de bronze pèsera moins de 10 grammes soit le tiers d'une once !

Le denier connaîtra ce même phénomène de dépréciation au cours du temps :

  • Lors de la création du denier, celui-ci pèse environ 4,51 grammes d'argent et vaut 10 as soit 540 grammes de bronze. En effet, à cette époque, l'as ne pèse plus que 54 grammes de bronze (l'As est dit " sextantal " car il pèse alors 1/6 de livre).
  • Vers 170 avant Jésus-Christ, l'as est dit " oncial " et ne pèse plus que 27 grammes de bronze soit le douzième d'une livre romaine. Le denier voit également son poids diminuer pour passer à 3,96 grammes d'argent mais il vaut toujours 10 as soit 270 grammes de bronze.
  • Enfin, vers 140 avant Jésus-Christ la valeur du denier est réévaluée et passe à 16 as soit 432 grammes de bronze (l'as pèse alors toujours 27 grammes de bronze). Cette réforme monétaire se traduit par un changement de symbole sur les deniers. L'ancien symbole de sa valeur " X " (1 denier valait 10 as) est abandonné pour le sigle " XVI " (1 denier vaut 16 as) puis est remplacé par le monogramme " X ".
Nous constatons donc que l'érosion monétaire est généralisée et que la valeur relative de l'argent par rapport au bronze a fortement fluctué dans le temps (en 210 avant Jésus-Christ le rapport entre l'argent et le bronze est de 1/122, vers 170 avant Jésus-Christ le rapport n'est plus que de 1/69 puis il remonte à 1/111 vers 140 avant Jésus-Christ).

Ce phénomène se manifeste bien évidemment à travers les prix des biens et des services. A titre d'illustration, la solde d'un légionnaire romain qui était de 225 deniers par an du temps de César (vers 50 avant Jésus-Christ) est passée à 300 deniers sous le règne de l'empereur Domitien (vers 90 après Jésus-Christ) puis à 675 deniers sous Caracalla (vers 215 après Jésus-Christ)...

Dans un système ou la valeur de la monnaie est directement liée à la quantité de métal, outre la baisse du poids des espèces monétaires, la diminution du titre en métal précieux est une seconde manifestation de cette dépréciation continue (par exemple, le denier d'argent ne titre plus qu'à 900‰ sous Tibère contre 950‰ à son origine).

De nombreuses réformes monétaires comme celles d'Octave en 27 avant Jésus-Christ, de Néron en 64 après Jésus-Christ ou d'Aurélien en 274 après Jésus-Christ tenteront de rétablir une orthodoxie monétaire et de lutter contre l'inflation et l'anarchie.